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MARIE ZOLAMIAN IN 'T KMSKA : CONTRE-ATTAQUE DE MOSAICO DI DUE

RENDRE JUSTICE EN OUVRANT LES YEUX • Nouvelle contestation de la maternité de la mosaïque de Marie Zolamian à l’entrée du KMSKAntwerpen • À quoi ça rime ? Comparution le 1er mars 2023 à 9 heures du matin.

Illustration principale

 

Les requérants — Sarah Landtmeters + Gino Tondat = Mosaico di Due (MDD) — contestent la décision de la 10e Chambre du Tribunal néerlandophone de Première Instance à Bruxelles, prise le 3 juin 2022 en faveur de Marie Zolamian. Ils espèrent être reconnus co-auteurs de la mosaïque « Welkom - Bienvenue - Welcome – Willkommen » commandée à Marie Zolamian par le KMSKA (cf. visuel infra). L’œuvre, qui compte environ ± 480 000 tesselles dans un espace de 3,5 x 22 mètres, fourmille de détails qui raccordent l’art des époques antérieures aux sensibilités d’aujourd’hui. Elle comporte surtout ce qui n’est pas de l’ordre du détail référencé mais de la création à l’état pur, au travers d’un agencement porté par une liberté généreuse et une intelligence prospective qui n’ont d’égales que la complexité des images mises en jeu et la beauté des rapports abrupts orchestrés sur une carte d’Antwerpen mythique et hors d’âge. Pour comprendre quelque chose à cette affaire, il est impératif de dézoomer pour considérer une situation rendue inutilement conflictuelle. La Justice donne parfois l’impression d’être hors-sol, ne semblant pas tenir compte de ce qu’ont publié sur cette œuvre des critiques professionnel.le.s spécialisé.e.s en art contemporain. Pourtant les faits parlent d’eux-mêmes.

 

Avant d’en venir au fond du problème, il est sans doute utile de rappeler quelques manières de faire dans le champ de l’art tel qu’il se pratique... depuis bien avant l’existence du KMSKA. Les actrices multi-Oscarisées ou les acteurs mythiques ne signent pas les films largement tributaires de leurs apports. Personne ne conteste à un architecte toujours en haut du box-office, qui ne sait pas dessiner, la paternité de telle Philharmonie ou de tel musée d’Abou Dhabi. Les « petites mains » des Maisons de Haute Couture ne réclament pas d’être co-autrices des créations pour happy few. En édition ou en traduction, le fait d’adapter un texte à sa mise en livre ne donne pas le droit d’en revendiquer une part de leadership. Chacun.e son rôle et tant mieux si les échanges sont fertiles.

 

Pour voir qui a conçu de plein droit l’œuvre ici en cause, il faut donc prendre un peu de recul, et considérer d’une part l’ensemble de l’œuvre de Marie Zolamian, et d’autre part la diversité des réalisations de MDD, en n’oubliant pas de penser au célèbre proverbe chinois : « Quand le sage montre la lune, l'imbécile regarde le doigt. » La deixis est essentielle en art.

 

En parcourant le website de MDD, clair et structuré, un savoir-faire de haut niveau saute aux yeux. Les domaines sont la restauration-conservation dans l’architecture, la décoration intérieure et les compositions originales diverses et variées, toujours séduisantes et exécutées avec maîtrise. Une partie importante du core business est la restauration, en particulier dans le champ de ce qu’on appelle de manière restrictive Art nouveau, par exemple à Bruxelles : l’Hôtel Hannon de Jules Brunfaut, l’imposante villa Du Bois de Jean-Baptiste Dewin, le Pavillon des Passions Humaines ou l’Hôtel Van Eetvelde de Victor Horta. Rien à dire, de la belle ouvrage, bravo. À l’onglet Art Work, c’est plus compliqué ; même qualité d’exécution sauf peut-être au plan conceptuel. Rien à voir avec la création authentique dans le champ de l’art contemporain, celle qui change les manières de voir et de penser le monde, avec expositions à la clé dans les lieux les plus exigeants.

 

Faire état d’un « collage des œuvres d’art de la collection du KMSKA » n’est pas seulement réducteur, c’est entièrement faux, à la limite malveillant. Balancer ça comme ça, c’est n’avoir rien compris à cette œuvre ample et rare. Plutôt que d’un copier-coller par un mécanisme d’appropriation commun et sans-gêne, il s’agit de tout autre chose. Plutôt que de pomper dans les repros des œuvres de la collection, Marie Zolamian a eu le cran de s’adresser « directement » à James Ensor, à Pieter van der Borcht, à Clara Peeters, à Pierre Paul Rubens ; elle a presque tutoyé ces artistes, respectueusement et aventureusement, pour leur renvoyer des images inédites et plus que vivantes de leurs œuvres, lointainement remémorées dans l’espace-temps. Ce travail poétique et onirique, libre et enjoué — ce qui n’en exclut ni mélancolie ni transgression —, émane de l’ensemble du parcours de Marie Zolamian (note 1).

 

On peut toujours pinailler sur la phraséologie administrative, à quoi l’art échappe totalement, mais l’œuvre est explicite : rien à voir avec la production habituelle de MDD. Par contre, en regardant attentivement ce que fait Marie Zolmian, par exemple Droomland au C-Mine Genk en 2022, la mosaïque ne cesse, par les vertus de l’herméneutique, de s’enrichir de résonances nouvelles à mesure qu’elle s’élargit des regards du public qui entre et sort du KMSKA. Le reproche d’une étape digitale dans la transmission des données est plus drôle car il fait penser au projet de Le Corbusier présenté au concours pour le Palais des Nations à Genève en 1926-27, le meilleur des 377 projets... refusé sous prétexte qu’il n’était pas dessiné à l’encre de chine mais reproduit par tirage mécanique. Ce qui ne l’a pas empêché d’entrer dans la grande histoire de l’architecture.

 

Qui a intérêt à entretenir le malentendu ? N’y aurait-il pas une sorte d’acharnement non exempt de convoitise face à une œuvre majeure ? Rester à sa place n’est pourtant pas déshonorant. Plutôt que d’usurper un rôle, il serait tellement plus chic de chercher ensemble à déployer les tenants et aboutissants de cette aventure, pour que le public puisse s’imprégner des beautés étranges et stimulantes de toutes les ressources qui ont permis à cette mosaïque de parler à chacun.e sur le pas de la porte du musée. L’expérience du lieu est déterminante, non un coup d’œil en passant mais un examen en long, en large et en travers. L’intention première de confier ce travail à Marie Zolamian était et reste une décision formidable pour l’histoire matérielle du KMSKA, mais c’était et ça reste surtout un pari sur l’avenir en ajoutant à l’institution un agent multiplicateur pour les imaginaires qui s’y croisent.

 

 

1. Pour avoir vu Marie Zolamian en action avec les gamins du village d’Abwein en Palestine, aucun doute : chaque situation prise dans sa complexité appelle une approche spécifique, sans perdre le fil d’une œuvre profondément attentive aux autres. Il y aurait beaucoup à écrire sur ce qui s’est passé à l’endroit de la mosaïque, au travers des guerres et des âges d’or mais surtout des entre-deux plus intéressants de la vie en général.

 

Website Marie Zolamian :

https://www.mariezolamian.com/index.php/project/mosaic-research-docs-2017-2018/

 

Présentation des recherches de Marie Zolamian à la Galerie Nadja Vilenne en 2020 :

http://www.nadjavilenne.com/wordpress/?p=22741

 

MDD :

http://www.mosaicodidue.be/

 

 

Illustrations

ZZZ
Article paru dans "L'Art Même" #86, 2022