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Journées AWaP - Cellule archi FWB • Liège 2025 • XXe siècle
Remarques consécutives aux deux Journées de la Restauration et de la Protection en Wallonie, organisées les 14 et 15 mai 2024 à Liège (Cité Miroir), par l’AWaP et la Cellule architecture de la FWB, sur le thème : « Le patrimoine du XXe siècle ». Cette période sans aucun doute la mieux documentée est aussi le parent pauvre dans l’ensemble des biens bénéficiant de mesures de protection. L’ampleur du matériel archivistique relatif au XXe siècle, en constante amplification via le Web sémantique, appelle de soutenir plus activement la recherche, de manière à étoffer les connaissances permettant de le faire évoluer de manière respectueuse et cultivée.

L’EMPIRE DU DOUBLE STANDARD
Ces deux journées ont montré de manière éclatante l’ampleur du problème, au travers d’un programme chargé (disponible sur le site Web de la Cellule architecture de la FWB), éclectique (cf. visuel 1) et qui appelle des approfondissements. Commencer par la fin est éclairant : l’année prochaine, ces Journées seront consacrées aux églises désacralisées et transformées, ici en librairie, là en skate park ou en commerce de prêt-à-porter. Donc exit le XXe siècle en tant que tel. Cette perspective incite à s’interroger sur la densité du programme de l’édition 2025. La recette était imparable : programmer des interventions relatives à une période trop longue — sans cadrer la diversité des thèmes abordés —, accumuler des retards pour anéantir les possibilités d’échanges réflexifs, tout mélanger et découper en deux journées pour s’assurer qu’à peu près personne n’assiste à l’intégralité du programme, introduction et conclusions aussi rapides que discutables... Il s’agissait plus de sacrifier à une corvée que d’inaugurer une politique enfin crédible sur le sujet. Au fil des prises de parole, en référence sans doute à la DPR 10 N°1 (se2024) « Le tourisme et le patrimoine, vecteurs de fierté et d’attractivité », une étonnante argumentation sur « l’obésité de la mémoire » [Olivier Mongin] en disait long sur la stagnation de fait, ou plus exactement sur la régression en cours, que les chiffres confirment. La politique qui domine est celle du tristement célèbre « moratoire sélectif » — in fine le fait de la princesse ou du prince —, ou plus prosaïquement des têtes de gondole qui disqualifient tout le reste. Furtives, des vues du pont de Wandre et du CHU de Liège attestent d’exceptions notoires qui confirment les règles... en l’occurrence ± contournées. Cette logique conduit dans les cas extrêmes à un fétichisme parfois étrange, comme l’architecte s’érigeant une « chapelle » avec des restes du Foncolin ou le auvent mono-poteau des Cimenteries Dapsens comme un nain de jardin devant une opération de promotion immobilière. Déni de culture, en somme, ou plus exactement : populisme à bon compte. En mettant sur le même plan le Théâtre en plein air de Namur et l’ensemble des Chiroux à Liège, que cherche-t-on à faire admettre ? Que tout ça, « c’est difficile », que « c’est compliqué », ce qui relève d’un enthousiasme à l’envers ; on finira sans doute par s’en remettre à ChatGPT pour envoyer quelques dossiers à la signature...
Pour le XXe siècle, le service minimum impliquerait un découpage cohérent du panorama et non de proposer un programme trop ambitieux, donc décousu et en partie inopérant. Ce resserrement permettrait une approche plurielle et contradictoire, surtout plus approfondie, avec points de comparaison dans d’autres pays, pour peu qu’une publication en résume l’essentiel a posteriori, et que les conclusions soient prises en compte dans les faits par la suite, sinon c’est peine perdue. Parmi les contributions des Journées des 14 & 15 mai, les deux qui étaient liées à Marcel Leborgne, celles qui décryptaient l’action de Georges Truffaut et le travail du Groupe EGAU, celles focalisées sur les maisons Comblen ou Hannon, celles qui éclairaient les transformations des campus du site Gramme à Charleroi et Val Benoît à Liège, celles qui rappelaient l’action du chanoine André Lanotte ou qui se concentraient sur les œuvres de Roger Bastin, de Jacques Dupuis ou des deux, sans oublier celles qui portaient sur les ensembles de logements sociaux, fournissaient six ou sept thèmes qui suffiraient chacun à construire le programme de toute une journée de colloque. Le côté one shot est aussi désastreux, car la matière justifierait amplement un cycle d’une vingtaine de journées de ce type, réparties par exemple sur une législature, sans exclure les initiatives liées à d’autres périodes. Mais un thème comme « Patrimoine gourmand », choisi pour les Journées du Patrimoine en Wallonie 2025, fera-t-il avancer le Schmilblik ? L’enjeu est de changer de paradigme. Le Patrimoine XXe devrait primer sur le Tourisme et non l’inverse, et l’intelligence entre ces deux polarités devrait concilier Culture et Économie en ne sacrifiant pas au fun superficiel et aux « expériences » pour publics asservis. Mieux vaut poser le problème dans l’autre sens : l’héritage à patrimonialiser le cas échéant, c’est tout ce qui a été construit jusqu’hier soir, et qui existe encore sous forme matérielle et/ou documentaire. C’est donc tout ce qui permet d’alimenter une histoire de l’architecture, de la ville et du paysage en constante amélioration quant aux sources, pour éclairer les architectes et les ingénieurs, les maîtres d’ouvrage et les instances publiques, en matière d’interventions sur ce qui existe.
Pour en revenir aux notions en filigrane du colloque, le cas du Théâtre en plein air de Namur, inauguré en 1910 (cf. visuel 2), est révélateur du double standard qui semble de plus en plus obligatoire pour mixer protection patrimoniale et transformations sans vergogne. En pareil cas, pourquoi ne pas montrer ce qu’il se passe in situ ? En l’occurrence, l’amputation lors du classement et les greffes consécutives offrent un magnifique objet de conjecture. La Plaine des jeux, partie intégrante du projet de Georges Hobé ainsi que des plans des Ponts et Chaussées et de la SNCV, a été exclue du périmètre du classement, pour permettre la reconstruction du Pavillon de la Belgique transplanté de l’Exposition universelle de Milan. À l’inverse, l’espace sous les gradins doit recevoir des équipements sanitaires et divers implantés sans résonance judicieuse avec l’architecture primitive. Dans l’autre partie de cet ensemble relevant du Patrimoine exceptionnel de Wallonie, la scène du Théâtre en plein air recevra une couverture en béton armé de ± 180 m2, choisie pour sa forme tranchant sur l’existant mais exempte d’équipements techniques de régie de plateau [1].
Quant au complexe des Chiroux à Liège, érigé par Henri Bonhomme et Jean Poskin entre 1960 et 1976 (cf. visuels 3 et 4), le récent incendie et le mouvement de protestation en cours imposent la plus grande circonspection quant à sa reconversion. Il serait d’ailleurs judicieux d’y associer le Centre sportif du Grand Séminaire (Jules Mozin - Groupe EGAU, 1962-1965), pour une réflexion qui respecte des contributions majeures à l’espace urbain au fils des Trente glorieuses, d’une ampleur culturelle remarquable et... à redécouvrir !
Une remarque de Dominique Eddé, qui voit « l’I.A. remplacer le savoir par la foi » donne à penser que l’« allégorie du patrimoine » promue par Françoise Choay est devenue une idéologie du patrimoine basée sur l’exclusion catégorielle et des hiérarchies opportunistes. Plus récemment, les croyances en des labels hors-sol comme l’apocope « déco » ou l’hyperbole « brutaliste », ont paraché l’œuvre du fétichisme en imposant un langage convenu, de manière à ranger dans des tiroirs sans épaisseur ce qui aura survécu. Les destinées posthumes de Saint Victor Horta ou de ce diable d’Henry van de Velde en sont les figures tutélaires. Et comme de bien entendu, les diktats touristiques légitiment l’impératif du double standard. À Namur, pour l’héritage de Georges Hobé, on a classé d’une main tout en cassant de l’autre. Pour celui de Roger Bastin, il est intéressant de noter qu’au moment même des Journées de l’AWaP, Paris-Match Wallonie-Bruxelles publiait un article de Frédéric Marchesani (AWaP) sur le Grand Séminaire de Roger Bastin (1968), devenu par la suite le Campus Provincial. Au-dessus du titre — « Le Grand Séminaire de Namur • Une perle de modernisme • Partons à la découverte d’une réalisation emblématique » —, une vue aérienne centrée sur un coup de poing dans l’œil (cf. visuel 5) : le bunker d’une Académie de Police. Correctement documenté, l’article de Paris-Match élude cependant cet OVNI que la vue aérienne plongeante érige en verrue dans un plan-masse parmi les plus étudiés et réussis de Roger Bastin. Ce bâtiment a sans doute ses justifications, mais il est étrange de passer sous silence ce qui a permis de l’incruster de manière aussi saugrenue et massive dans un ensemble architectural d’exception.
RB
[1] Un avis critique dûment étayé a été déposé à l’enquête publique en 2023, mais le contenu en a été rejeté en bloc par le fonctionnaire délégué : Avis de base et Avis complémentaire.
PS
Sans doute sera-t-il intéressant de suivre le « Onderzoeksdag » organisé le 20 novembre 2025 par le Vlaams Architectuurinstituut (VAi) sur le thème « Hors catégorie » :
« In de komende editie onderzoeken we hoe archiefclassificaties ons begrip van ontwerpen en ontwerpprocessen zowel vormen als begrenzen. Hoe categoriseren archiefinstellingen objecten, disciplines en auteursvormen, en wat voor blinde vlekken ontstaan als gevolg van deze systemen? Hoe kunnen we rekening houden met datgene wat conventionele institutionele en historische classificatie ontwijkt, overstijgt of contesteert? Wat doen we met praktijken hors catégorie ?
Om een beter begrip te krijgen van deze uitdagingen nodigen we onderzoekers, ontwerpers, archivarissen, collectiebeheerders en erfgoedspecialisten uit om te reageren op onze oproep om ervaringen en casestudies te delen. We verwelkomen presentaties die zich richten op de volgende vragen:
-Wat betekent het om de nadruk te verschuiven van objecten naar processen ?
-Kunnen we de conventionele maar rigide noties van auteurschap herzien door de meer flexibele idee van rollen ?
-Wat voor kansen en uitdagingen bieden digitale en decentrale benaderingen van archieven voor deze thema’s ? »
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