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ALBÉRIC DE BOSSCHER VENEZIA 1930 ?

Article consacré à la transformation du Padiglione del Belgio à Venise par Albéric De Bosscher en 1930. Après la création par Léon Sneyers en 1907 et les deux transformations qu'il a menées à bien, en 1909 et en 1912, l'édicule a été agrandi et modifié par Albéric De Bosscher, aboutissant à un curieux hybride mixant des reliquats du bâtiment initial aux apports au goût du jour en 1930. Initialement prévu pour une revue papier bruxelloise, cet article a été retiré car il était lié à un autre, sur la participation de Léon Sneyers à l'Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes à Paris en 1925, refusé par la rédaction de ladite revue en mai 2025. La nébuleuse historique et surtout archivistique propre à ce dossier a fait l'objet d'un premier article publié en 2024 ("Edition rétrospective - Venise 2024 - 1972"). Cet article correspond à un coup de projecteur sur un aspect méconnu de cette matière.

Illustration principale

 

Padiglione del Belgio, séquence « Art déco » hybride ?

 

Le Padiglione del Belgio a Venezia reste diablement méconnu. Qui sait combien d’architectes ont contribué à sa configuration actuelle ? L’examen des lieux révèle des parties réalisées en 1907, 1930, 1948, 1993 et 1997. D’autres ont disparu ou ont été dessinées sans se concrétiser. Parmi les architectes, il en est qui ont agi à deux, voire à trois reprises. Les périodes d’abandon et les deux guerres mondiales ont laissé des séquelles, que des travaux ont plus ou moins effacées ou incorporées à d’autres modifications. Pour l’histoire, ce pavillon est un hybride architectonique aussi déconcertant que passionnant...

 

En 1907, c’était le premier édicule national dans les Giardini di Castello ; il s’agissait d’une création de l’architecte décorateur Léon Sneyers. Par la suite, les adaptations du pavillon, au fil des décennies, ont davantage reflété la sophistication institutionnelle croissante à Bruxelles, jusqu’à la quadripartition de la programmation : Fédération Wallonie Bruxelles / Vlaamse Overheid / art / architecture, ce qui épaissit le brouillard sur la chronologie des transformations du lieu. Il serait vain de tenter un décryptage sur base des seuls critères stylistiques. Ce que représente cette œuvre est d’une complexité sans égale, si ce n’est la dissémination disparate et lacunaire des archives qui s’y rapportent. Des erreurs, des hésitations historiographiques et des silences trahissent les arrière-plans politiciens. La séquence la plus mystérieuse est ici en exergue : les agrandissements et transformations de 1930.  

 

Depuis 1988, le guide I Padiglioni della Biennale de Marco Mulazzani, souvent réédité, indique un architecte : « A. De Bosschère » (1). Aucune information, nulle part, ne semble disponible à son sujet. Une étude récente, prenant appui sur des dizaines de fonds d’archives à Bruxelles et à Venise (sources primaires & numériques), renouvelle et amplifie le dossier rouvert avec cet article publié en 2024 : Léon Sneyers, mine de rien... • Padiglione del Belgio : architectes & archives sporadiques (2). Le contexte initial et la démarche du premier architecte y sont détaillés dans l’incidence de ses contributions à l’Exposition universelle de Liège 1905 ou à l’Esposizione internazionale di Milano 1906. Grâce à Martina Carraro, dont la thèse est en ligne depuis 2010 (3), des photos de la construction ont été retrouvées dans les papiers personnels d’Hippolyte Fierens-Gevaert, notamment Commissaire général du gouvernement pour les expositions de la Belgique en Italie, de 1906 à sa mort en 1926. Cette source révèle aussi plusieurs agrandissements, des constructions légères, la dernière en 1926, toutes disparues. La séquence suivante, en 1930, correspondait à l’adjonction bilatérale de salles qui existent toujours, avec remodelage presque complet de la façade principale, le tout longtemps attribué à ce « A. De Bosschère ». D’autres fonds livrent des clés pour la compréhension de l’intervention de Vigilio Vallot en 1948, à qui est due la physionomie actuelle du pavillon. C’est aussi lui qui a fait « disparaître » la configuration de 1930. Son parti architectonique était encore tributaire des années 1940 en Italie, par opposition au renouveau des autres pavillons peu après grâce à Zeev Rechter, Gerrit Thomas Rietveld, Bruno Giacometti, Carlo Scarpa, Takamasi Yoshizaka, Alvar Aalto, BBPR et quelques autres. Un flou persiste quant à la période 1970-1990, où la gestion du Padiglione del Belgio est passée au Ministère des Affaires étrangères puis à la Régie des Bâtiments, avant la régionalisation et le partage bi-communautaire. Un projet de reconstruction complète a été confié à bOb Van Reeth, avec René Greisch, mais cette option est restée sur papier, se soldant par le percement... de l’entrée arrière ! Les dernières transformations confiées à Georges Baines ont conduit à une phase préparatoire en 1995 et à une restauration lourde en 1997.

 

Marco Mulazzani a publié le plan, l’élévation principale et la seule photographie connue de la façade de 1930. Deux facteurs ont estompé cette version du pavillon dans les médias, d’une part le double Centenaire de la Belgique, à Anvers et à Liège, et de l’autre le krach de 1929 sur fond de totalitarismes montants. Après l’ère Fierens-Gevaert, la direction des opérations est passée au très classique Paul Lambotte. L’état sanitaire du bâtiment imposant des travaux de maintenance, ils allaient être mis à profit pour l’agrandir et le faire coller à l’esprit Art déco alors en vogue. Le catalogue de la Biennale 1930 consultable en ligne indique l’architecte « A. De Bosscher », ce qui est confirmé dans Le Soir du 13 mai. Les requêtes en ligne entremêlant BelgicaPress, Geneanet ou Urban.be mettent en évidence deux architectes, Josephus-Aloysius-Maria De Bosscher (1853-1940) à Heusden, et Albericus-Josephus-Petrus-Maria De Bosscher, le second étant l’un des six enfants du premier. La disposition et l’allure générale de 1930 étaient donc dues à Albéric De Bosscher (1885-1963), ingénieur-architecte, haut-fonctionnaire lié à plusieurs ministères, directeur des Travaux publics en fin de carrière. À titre privé, ne sont identifiées que ses deux modestes habitations familiales à Ixelles. La confrontation de la signature des plans conservés dans les Archives communales et de ceux retrouvés dans l’Archivio storico delle arti contemporanee à Venise confirme cet état de fait, de même qu’un article paru dans La Meuse le 19 mai 1930 : « Cette fois, le pavillon de la Belgique a été agrandi et restauré. Il a beaucoup gagné à ces modifications. / L’architecte Albéric De Bosscher, chargé par le ministre de cette mission délicate, s’en est acquitté avec un rare bonheur. / Le pavillon a pris l’apparence d’un édifice définitif. C’est actuellement le plus élégant, le plus vaste et le mieux adapté à son but de tous ces édicules épars dans les jardins. La salle centrale a été arrangée avec un grand souci de l’effet architectural. (...) P.L. (4) » 

 

L’hybridation était au principe du projet De Bosscher, puisqu’il conservait les pylônes des quatre angles du volume haut, ainsi que le portique d’entrée du projet Sneyers ! Il faudrait même y ajouter les bancs de part et d’autre de l’accès, qui apparaissent dans les visuels dès 1907. Le plus frappant est la disparition de toute trace des contributions d’artistes incorporées aux trois versions antérieures de la façade principale, remodelée par Sneyers lui-même (Émile Fabry, George Minne et Isidore De Rudder). Les lignes générales et la modénature très sobres étant ponctuées d’un motif polygonal à la mode (rectangle à pans coupés)... Albéric De Bosscher aurait-il vu l’aménagement d’Henri Driesmans au Grand Palais à Paris en 1925 ?

 

Un métissage analogue caractérisait l’intérieur du pavillon. Si les nouvelles salles latérales étaient couvertes de verrières zénithales, les doubles passages les reliant à la grande salle ont conduit à y ajouter des pans coupés jouxtant des décors encadrant ces baies... pastiches de ceux de 1907 maintenus. L’unité de l’ensemble était largement due à un sol en granito coulé et poli en place, lui aussi très en faveur à l’époque, et par l’uniformité des parois. Les photos de la Biennale de 1942, alors qu’y était présentée une exposition de « futuristes italiens tardifs », inaugurée par le roi d’Italie et Marinetti devenu académicien, montrent encore cet étonnant mélange décoratif. Comme pour les pans coupés de l’espace central, une lecture attentive de l’état actuel du Padiglione del Belgio révèle des traces matérielles de ce qu’ont apporté les cinq architectes à cette œuvre hybride par excellence, notamment les deux pylônes d’angle de l’arrière pour Sneyers, les extensions de De Bosscher, la façade de Vallot, la porte de bOb Van Reeth, enfin les toitures et verrières reconstruites par Georges Baines.

 

Raymond Balau

 

PS1

Au même endroit en ce moment : Building Biospheres.

 

PS2

Un article de Marc Dubois dans la perspective de la Biennale 2026 : 

"Venetië • Belgisch Paviljoen & Leopold II ?"

Datum: 22/03/2025 U kan de PDF van het artikel hier downloaden.

 


Note 1 : MULAZZANI Marco, I Padiglioni della Biennale • Venezia 1887-1988, Electa, Milano, 1988, pp. 38-39.

Note 2 : BALAU Raymond, Léon Sneyers, mine de rien... • Padiglione del Belgio : architectes & archives sporadiques, dans Venise 1972-2024 (édition rétrospective), Direction des Arts Plastiques contemporains de la FWB (avec WBI), 2024, pp. 6-15.

Note 3 : CARRARO Martina, I BELGI E LA BIENNALE • Premesse e protagonisti del primo padiglione nazionale ai giardini (1895-1914), Università Ca’ Foscari Venezia, Università IUAV di Venezia, Fondazione Scuola Studi Avanzati in Venezia, 2006-2008.

Note 4 : P.L., Les expositions d’art belge contemporain à Venise et à Monza, dans La Meuse, 19 mai 1930, p. 3. BelgicaPress JB638.

 

 

Illustrations

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1. Léon Sneyers, Pavillon belge aux Expositions biennales des Beaux-Arts de Venise (1906-1907). Architecte Léon Sneyers. Bruxelles, dans « L’Architecture et l’Art décoratif modernes en Belgique », L’Amour de l’Art • Art ancien • Art moderne • Architecture
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2. Albéric De Bosscher, Padiglione del Belgio tel que remodelé en 1930. Tirage non sourcé [Reale Fotografia Giacomelli], Fonds Léon Sneyers, CIVA Collections Brussels.
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3. Albéric De Bosscher, Projet de modification du Pavillon belge à l’Exposition permanente de Venise • Plan du Rez-de-Chaussée, s.d. [1929-1930]. © Archivio storico delle arti contemporanee (ASAC).
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4. Virgilio Vallot, Progetto Nuovi Prospetti del Padiglione del Belgio • Biennale Internazionale d’Arte • Venezia, 1948, Archivio Virgilio Vallot, Archivio Progetti dell’Università IUAV di Venezia.
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5. XVII Esposizione Internazionale d’Arte di Venezia [1932]• Padiglione del Belgio – Sala, Foto Giacomelli Venezia N. 699. © Archivio storico delle arti contemporanee (ASAC).