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GEORGES-ÉRIC LANTAIR : L'HYPOTHÈSE DU PIGEONNIER

| GEORGES-ÉRIC LANTAIR : « CORPS BLANCS » (MAQUETTES, CRAYONNÉS & OMBRES PORTÉES) | (IM)PERTINENCE | ARCHIDOC #05 | LIÈGE (UNIVERSITÉ) | EXPO 25 09 - 23 12 2021 (VISITE 05 10 2021) —

Illustration principale

L’alignement des petits modules sur le présentoir en tôle miroir pliée qui exacerbe le séquençage a des allures de théorème. L’étymologie à la rescousse (tlfi) : le latin theorema signifie « proposition » et en grec « ce qu'on peut contempler, objet d'étude et de méditation ». Objet digne d’étude, assertion démontrée via un système déductif avec lemmes, corollaires ou scholies, propositions et conjectures, c’est parlant. Il existe 370 démonstrations du théorème de Pythagore. Mais s’agit-il d’un système théorique ? Pas vraiment car la chose peut se nourrir de contre-exemples et admettre des éléments perturbateurs. Rien à voir donc avec la radicalité des progressions à la Sol LeWitt ou à la Donald Judd, même si les analogons ne manquent pas. Et moins encore, pour changer de registre, avec les métaphores triviales du clapier ou de la cage à poules. Le pigeonnier dont la configuration est ainsi mise en pièces, ses rapports architectoniques explicités par des conjugaisons libres, c’est d’abord un souvenir d’enfance, non fantasmé a posteriori comme Eine Kindheitserinnerung des Leonardo da Vinci, mais plutôt réactivé par un retour sur les lieux. Ce pigeonnier du 42 rue Sainte-Marguerite à Liège n’existe plus ni la maison familiale, tout a été démoli. Il ne reste que quelques diapositives qui vieillissent. L’endroit est un parking, de 32 à 48, avec des équipements provisoires et des « fresques » en attendant mieux. Ces « CORPS BLANCS » diffusés en carte de vœux pour 2021 sont un pendant aux « CORPS NOIRS » de 1987. Est-ce un hasard ? mais on sait que le hasard a du talent, exactement au milieu de la monographie Archidoc #05, l’essai d’Alain Richard se termine par une spéculation sur « l’architecture comme discipline artistique », à partir de cette opposition noir/blanc qui tranche dans une exposition où la couleur saute aux yeux comme ferment holistique des études. Le chapitre précédent se terminant par l’évocation de quelques « entrecroisements heureux, convoquant Aldo Rossi, James Stirling, Steven Holl ou Marcel Duchamp… », les points de suspension en regard d’une photographie en noir et blanc de Marc Angeli avec Georges-Éric Lantair sur un toit, voilà une des équations qui pullulent dans le parcours du second, à partir de quoi toute la démarche Archidoc pourrait donner lieu à un « livre d’architecte », exactement comme on dit « livre d’artiste », pour sonder les circonvolutions, les bifurcations et les concaténations dont la suite ouverte des « CORPS BLANCS » offre un exemple frappant, car la couleur y est bel et bien : dans les exfoliations (au sens géologique) des mémoires et des imaginaires qui jouent à cache-cache dans l’ensemble de la RECHERCHE. Frappé par Marcel Duchamp à l’occasion de l’exposition inaugurale du Centre Pompidou en 1977, dont le catalogue s’ouvre sur une collection de « Témoins Oculistes » pour titiller le rétrospectif, Georges-Éric Lantair s’est engagé dans la vertigineuse mixité art-architecture que la plupart des artistes et des architectes ne considèrent que de loin, sans doute pour qu’elle reste floue, mais dont les malentendus induits (au sens des courants induits) sont d’une incommensurable richesse de sens dès qu’on s’écarte des idées toutes faites, pour s’engager dans l’infinie complexité par ailleurs éclairante des intentions passant dans les actes sans concessions à la dictature des tiroirs et des étiquettes. Donc à « discipline artistique », il serait plus réaliste de préférer « indiscipline » et « art (la forme adjective relevant de la cultural correctness) » pour appréhender ce qui se niche dans l’alignement rectiligne de ces « CORPS BLANCS », qui n’est qu’une version des agencements probables et improbables d’une décomposition constructive (déconstruction a pris avec le temps des significations simplistes tout autres que derridéennes, mais il s’agit aussi de composition déconstructive)… du pigeonnier de l’enfance, terrain de jeu et de contrejeu donnant accès à ce que concrétise le rêve à la conquête de l’existence. Donc oui, le pigeonnier d’enfance est une sorte d’alternative au pentateuque corbuséen par exemple, ou à toute orthodoxie idéologico-architectonique, qui observe que l’inconscient vernaculaire recèle souvent des trésors d’empirisme directement connecté à l’imaginaire, ce dont on manque pas mal en architecture, défaut hélas compensé par trop de science dans les détails obsessionnels exigés par le branding autobiographique des boîtes d’architectes. En évitant de parler de « leçon », ce pigeonnier bâti à l’économie répond aux nécessités de l’envol aller-et-retour et d’un habitat propice aux couvées, tout en offrant une enfance de l’art de bâtir à l’enfance tout court, qui y voyage autant que les volatiles en tirant parti de la disposition pratique : pilotis et contreventements, baies de fenêtres et volets, différences de niveaux et divisions internes, pentes de toiture et parois verticales dessinées par les nécessités. C’est de l’architecture au sens le plus ÉLÉ-MEN-TAI-RE. En observant cette construction détachée du sol pour améliorer ses rapports à l’espace-temps, Georges-Éric Lantair y a reconnu ce qu’il a cherché au fil des décennies, c’est-à-dire une manière de faire sans faux-semblant ni gesticulation, où l’exploration des nécessités et des contraintes trouve mieux à faire qu’adapter des solutions admises, en n’éludant pas l’impertinence qui démonte les rituels corporatifs et les solutions de facilité, pour ramener sans cesse le curseur aux fondamentaux sans préjuger des résultats, dans un climat propice aux dérives intentionnelles de la création. Donc non, la petite ribambelle de volumes et de structures dont le pigeonnier est l’une des possibilités effectives, originelle mais pas seulement, car le travail de dissociation-permutation des composants est une démonstration de tout ce qu’on peut déceler dans cette construction d’une simplicité parfaitement expressive. Comme lire est indissociable d’écrire, l’exercice des « CORPS BLANCS » montre que faire de l’architecture c’est mieux en arrivant à la lire, l’architecture, en toute chose bâtie. Le pigeonnier transformé en ossatures portantes et en prismes épurés, le tout désassemblé pour se prêter à d’autres combinaisons, même à des combinaisons de combinaisons, devient non un meccano mais un urbanisme à n’importe quelle échelle en fonction de tout type de contexte, du meuble ou de la scène jusqu’à l’agglomération urbaine, non un système mais un langage avec toutes ses articulations et toutes ses déclinaisons, des plus homogènes aux plus disparates, qu’elles fassent sens de proche en proche ou de loin en loin, dans une topologie toujours à réinventer ! Alors non, décidément non, les variations de ces petits volumes et structures ne dépendent pas d’une sorte de théorème mais plutôt d’une recherche libre, réceptive aux interférences et aux exceptions.

RB 03 12 2021

Voir : Raymond Balau, Georges-Éric Lantair : (Im)Pertinence • Archidoc #05 Expo Livre Film, Newsletter de A+ Architecture publiée le 03 12 2021.

Illustrations

GEL 01
PIGEONNIER & CORPS BLANCS
GEL 02
ANATOMIE ARCHITECTONIQUE